miercuri, 19 octombrie 2011

Les conduites suicidaires comme des pathologies( des hypothèses étiopathogéniques)

Les conduites suicidaires ne constituent pas en elles-mêmes une pathologie mais sont considérées comme des comportements pathologiques dans l’immense majorité des cas. Ces conduites sont de déterminisme complexe, multifactoriel, et un grand nombre de facteurs de risques ont été identifiés .
Dans la perspective médicale qui nous préoccupe ici, ces facteurs de risque peuvent être regroupés dans 5 grands domaines : 
Troubles psychiatriques 
Troubles de la personnalité 
Facteurs génétiques 
Facteurs biologiques 
Facteurs psycho-sociaux. 
Les hypothèses actuelles concernant la genèse des conduites suicidaires font appel à un modèle de type vulnérabilité — stress. Par ailleurs, il faut rappeler que les facteurs de risques suicidaires identifiés sont caractérisés par une sensibilité variable parfois bonne et une spécificité en règle très faible C’est l’interaction chez un même individu de différents de ces facteurs qui semble le mieux rendre compte de l’émergence d’un acte suicidaire. Il existerait donc des facteurs prédisposants, conférant à une sujet donné une vulnérabilité à long terme. Ces facteurs seraient représentés donc par : des facteurs génétiques, des facteurs biologiques ( l’implication du système sérotoninergique a été régulièrement évoqué), des troubles ou plus simplement des traits de personnalité comme l’impulsivité et l’agressivité, et enfin des antécédents de traumatismes précoces qui semblent conférer une vulnérabilité psychobiologique importante. D’autres facteurs semblent avoir un rôle conditionnant, au premier rang desquels se trouvent les troubles psychiatriques, les facteurs toxiques, et des conditions de vie caractérisées par l’absence de support social. En dernier lieu les gestes suicidaires sont souvent associés à des événements que l’on peut qualifier de facteurs précipitants au premier rang desquels se trouvent les événements de pertes, les conflits inter-personnels, et les situations de souffrance objective et subjective . Le fait de souffrir d’un trouble psychiatrique n’est pas une condition suffisante à la survenue d’un geste suicidaire mais semble être une condition nécessaire. En effet, les études d’autopsie psychologique révèlent que plus de 90 % des sujets décédés par suicide souffraient, au moment de leur acte, d’un trouble psychiatrique. Cette proportion est diversement appréciée chez les suicidants mais les rares études utilisant une évaluation standardisée retrouvent une prévalence similaire bien qu’un peu plus faible. Parmi ces troubles psychiatriques, les troubles de l’humeur, les troubles schizophréniques, certains troubles anxieux, les conduites additives et certains troubles de la personnalité, sont associés à un risque élevé de mortalité par suicide. La prise en charge thérapeutique de ces troubles nécessite, généralement, l’utilisation de psychotropes. Il semble logique et de bon sens de postuler qu’une chimiothérapie efficace de ces troubles permet une réduction du risque suicidaire qui leur est attaché. Il s’agit là d’une opinion fortement répandue chez les cliniciens mais qui se trouve contestée par certains qui s’appuient sur le faible niveau de preuves qui viennent étayer cette opinion. Cette quasi-absence de preuve tient essentiellement à des difficultés d’ordre méthodologique et éthiques qui sont discutées un peu plus loin. Une autre question est celle d’un effet spécifique de certaines chimiothérapies sur un syndrome suicidaire indépendant des troubles psychiatriques auxquels il pourrait être au non associés. Le désespoir, la faible estime de soi, l’isolement social et surtout un contrôle inadéquat des impulsions agressives pourraient être les symptômes nucléaires d’un tel syndrome. Il existe, maintenant, une littérature abondante évoquant la responsabilité d’un hypofonctionnement du système sérotoninergique cérébral dans ce syndrome et ce indépendamment de la nature des troubles psychiatriques associés. Des études de méthodologies diverses et utilisant différents témoins du fonctionnement sérotoninergique cérébral donnent des résultats convergents en faveur de cette hypothèse. Ces données suggèrent que des produits favorisant la transmission sérotoninergique au niveau cérébral pourraient avoir une action protectrice contre la survenue d’actes suicidaires et ce indépendamment de la présence ou de l’absence de trouble psychiatrique. A l’inverse, ces données peuvent suggérer aussi que des produits psychotropes puissent augmenter le risque suicidaire et ce en dépit de leur efficacité sur la symptomatologie de certains troubles psychiatriquesLes études contrôlées sur les effets d’un traitement pharmacologique de la suicidalité elle-même sont rares. Les données disponibles issues d’études contrôlées proviennent d’études visant à apprécier l’efficacité d’un traitement sur un trouble psychiatrique. Pour des raisons éthiques, clairement compréhensibles, les patients ayant un risque suicidaire élevé sont exclus de ces études. Une autre source d’information est représentée par les données d’études épidémiologiques. La plupart de ces études ont mis en évidence que les sujets traités connaissent des taux de suicide inférieurs à ceux des sujets non traités. Cependant, interpréter de façon univoque ces données comme étant la preuve d’un effet protecteur des traitements pharmacologiques contre le risque suicidaire relève de l’ignorance d’un biais majeur qui est l’absence de randomisation au hasard des sujets traités ou non. En d’autres termes, les différences constatées quant aux risques suicidaires peuvent être attribuées à des caractéristiques spécifiques des sujets qui demandent des soins et suivent le traitement et non à l’effet de ce traitement sur la pathologie de ces sujets. Pour des raisons de simplicité et de clarté, la revue des données disponibles dans la littérature se fera par classe thérapeutique et par principaux troubles psychiatriques et portera sur les données tirées d’études contrôlées, quand elles existent, et des études épidémiologiques. La rareté du suicide a conduit de nombreux chercheurs à évaluer les effets des produits psychotropes non seulement sur le risque de survenue d’un suicide mais aussi sur les conduites suicidaires comme les tentatives de suicide et les idéations suicidaires. Si le lien qui existe entre tentative de suicide et suicide est assez robuste, quoique leurs caractéristiques diffèrent de façon importante, la relation entre suicide ou tentative de suicide et idéation suicidaire est beaucoup plus discutable. Par nature les conduites suicidaires sont des comportements auto-agressifs et souvent impulsifs. En conséquence, les effets d’un produit pharmacologique sur l’impulsivité et l’agressivité sont souvent considérés comme le témoin d’une efficacité putative sur le risque suicidaire et seront donc discutés aussi ici.
Les antidépresseurs
Les troubles dépressifs sont les troubles psychiatriques les plus fortement associés à un risque suicidaire. Les antidépresseurs sont des agents pharmacologiques d’efficacité maintenant reconnue dans le traitement des épisodes dépressifs majeurs. Il existe de très nombreuses études contrôlées ayant attesté l’efficacité de ces produits sur l’amélioration voire l’obtention d’une rémission des états dépressifs.Toutefois, il n’existe pas à notre connaissance d’étude contrôlée versus placebo ayant mis en évidence de façon statistiquement significative une réduction des taux de suicide ou de tentative de suicide chez les patients traités par antidépresseurs ; Dans une revue d’études long terme contrôlées versus placebo, Rouillon et al retrouvent un taux de suicide de 1,9% (20 décès par suicide chez 1013 patients) chez les patients recevant un antidépresseur versus 1,5 % (58 décès par suicide chez 332 patients) chez les patients recevant du placebo. Cependant, il faut rappeler que la méthodologie de ces études n’a jamais été construite pour tester l’influence d’un traitement antidépresseur sur les conduites suicidaires associées à la dépression (la présence d’idéations suicidaire est en règle un critère d’exclusion) et que les patients inclus dans ces études diffèrent par bien des points des caractéristiques des patients à haut risque suicidaire. A l’inverse, nombre d’études épidémiologiques sont en faveur d’une diminution du risque suicidaire chez les patients déprimés traités par antidépresseur. Ainsi, Isacsson et al ont pu évaluer le risque de décès par suicide chez les patients déprimés et traités ou non par antidépresseurs dans les années 1990-91 en Suède. Le taux de suicide observé chez les patients traités étaient environ deux fois plus faible que celui observé chez les patients non traités (141/100 000 versus 259/100 000). Dans une étude précédente (31), cet auteur avait retrouvé que moins de 16 % des sujets décédés par suicide étaient sous antidépresseurs au moment de leur décès, alors que la proportion de sujets déprimés dans cette population peut être estimé à 50%. Des concentrations sériques à doses toxiques n’étaient retrouvé que dans 5,6 % des cas. Ce même auteur associé à un chercheur américain, a pu vérifier à partir des données de l’étude d’autopsie psychologique de San Diego que seul 12% des sujets déprimés (critères du DSM-III) au moment de leur suicide prenaient des antidépresseurs. Une concentration sérique létale n’étaient retrouvé que dans 4 % des cas, le plus souvent associée à d’autres psychotropes et se retrouvait essentiellement chez des sujets souffrant de troubles dépressifs associés avec un abus de substance psycho-active. Enfin, ces auteurs ont pu établir que plus de 50 % des sujets déprimés au moment de leur suicide avaient consulté dans les trois mois précédant leur geste, mais que moins de 50 % de ceux ci avaient bénéficié d’une prescription d’antidépresseurs et que l’analyse toxicologique n’était positive que chez un tiers de ces derniers. En Suède, l’étude dite du Gotland a montré que la délivrance systématique d’une formation sur le dépistage et le traitement des troubles dépressifs à tous les médecins généralistes d’une île avait conduit l’année suivante à une réduction d’environ 50% du taux de suicide qu’on y observait de façon stable depuis plusieurs années. Parallèlement à cette diminution des suicides, les auteurs rapportaient des modifications importantes dans l’utilisation des psychotropes par ces mêmes généralistes avec une augmentation importante de l’utilisation des antidépresseurs et une réduction de l’utilisation des sédatifs . Il s’agit là d’une donnée importante qui vient confirmer que la prévention des conduites suicidaires est, au moins en partie, du ressort des praticiens et que l’amélioration de la prise en charge de certains troubles psychiatriques, ici les troubles dépressifs, qui sont accessibles à des stratégies thérapeutiques efficaces a pour corollaire une réduction de la mortalité par suicide.Ces études épidémiologiques ne permettent pas de distinguer un éventuel effet différentiel des antidépresseurs selon leur mécanisme d’action pharmacologique. Or il est probable que ces différences existent comme l’en atteste les résultats de l’étude publiée par Rouillon et al en 1989(64). Dans cet essai contrôlé visant à mesurer l’efficacité prophylactique de la maprotiline sur les rechutes dépressives et portant sur un échantillon très large d’environ 1.000 patients. Ses auteurs ont rapporté que chez les 331 patients sous placebo avait été observé un suicide tandis que sur les 661 patients sous maprotiline 8 patients avaient fait des tentatives de suicide et 6 étaient décédés par suicide. Les auteurs rapportant les résultats de cet essai concluaient, par ailleurs, que la maprotiline s’était révélée supérieure au placebo quant à ses effets sur la dépression. Ces données suggèrent que la maprotiline pourrait avoir un effet suicidogène en dépit de ses vertus antidépressives. La maprotiline agit essentiellement par un blocage de la recapture de la noradrénaline sans effet notable sur la recapture de la sérotonine. Un grand nombre de données sur les mécanismes biochimiques impliqués dans la genèse du risque suicidaire évoque le rôle probable de la sérotonine cérébrale. Les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine seraient donc théoriquement des médicaments de choix pour prévenir le risque suicidaire chez les patients souffrant d’état dépressif. S’il n’existe pas de donnée concluante tirée d’une étude, les résultats de certaines méta-analyses supportent cette hypothèse. En 1995, Montgomery et al ont publié les résultats d’une méta-analyse portant sur les effets à court terme de la paroxétine dans le traitement de la dépression et ont mis en évidence une tendance pour la réduction du nombre de suicide et tentative de suicide lorsque la Paroxétine est comparée au placebo et une amélioration plus rapide des idées suicidaires lorsque la paroxétine est comparée à l’imipramine. Ce même effet sur les idéations suicidaires a été mis en évidence dans deux méta-analyses portant sur les essais réalisés avec un autre IRS, la Fluvoxamine. Ces données suggèrent que chez les patients déprimés souffrant d’idées suicidaires ou évalués comme porteur d’un risque important de passage à l’acte suicidaire, les antidépresseurs inhibant la recapture de la sérotonine sont les produits de première intention.Il faut, toutefois, évoquer les cas rapportés dans la littérature de patients ayant éprouvé des idées suicidaires intenses ou ayant connu des raptus suicidaires brutaux après le début ou l’augmentation de la posologie d’un traitement par Fluoxétine . Si une intense controverse s’est développée à l’époque à propos de ces rapports de cas, il faut rappeler que des rapports occasionnels et anecdotiques de cas similaires ont déjà impliqué d’autres antidépresseurs voire l’électroconvulsivothérapie . De plus, la méta-analyse des études en double aveugle chez des patients souffrant de dépression majeure et traités par fluoxétine ont rapporté une plus faible incidence d’aggravation ou d’apparition des idées suicidaires avec la fluoxétine qu’avec les tricycliques ou le placebo . Cependant, dans une étude contrôlée fluoxétine versus placebo chez des patients souffrants de dépressions récurrentes brèves, il n’a pas été montré de supériorité de la fluoxétine par rapport au placebo tant dans la réduction des épisodes dépressifs que des conduites suicidaires. Cette donnée peut suggérer que l’effet des IRS sur la réduction des idéations suicidaires et des conduites suicidaires chez les patients déprimés pourrait être dépendante de l’amélioration concomitante du trouble dépressif sous-jacent.
Il est maintenant reconnu que le risque de suicide est augmenté chez les patients souffrants de troubles anxieux primaires et que le risque est particulièrement élevé lorsque le trouble anxieux se complique d’un état dépressif La place des antidépresseurs dans le traitement des troubles anxieux va croissant mais l’étude de leur efficacité sur le risque suicidaire associé aux troubles anxieux n’a été que très peu étudiée. On peut toutefois retrouver deux études dans la littérature suggérant un effet favorable des IRS sur le risque suicidaire de patients souffrants de troubles anxieux. Une étude contrôlée versus placebo a montré qu’un traitement par fluoxétine permettait une réduction significativement supérieure des idées suicidaires chez des patients souffrant de troubles obsessionnels-compulsifs. Dans l’étude dite HARP (Harvard/Brown Anxiety Disorders Research Program), le suivi prospectif en conditions naturelles de 654 sujets souffrant de troubles anxieux a révélé un taux deux fois plus élevé de tentative de suicide chez les patients non traités par fluoxétine que chez les patients traités (différence non statistiquement significative). Le fait de recevoir un traitement par fluoxétine était significativement lié au fait de souffrir d’un état dépressif majeur à l’inclusion. Chez les patients souffrant d’un état dépressif majeur à l’inclusion, le fait de recevoir un traitement par IRS était associé à un risque significativement plus faible de survenue de tentative de suicide dans le suivi. Les conduites suicidaires sont fortement associées aux troubles de la personnalité du cluster B du DSM et, en particulier, à la personnalité borderline. Quelques études ouvertes ont été conduites chez des patients souffrant de type de trouble de la personnalité et ont suggéré une amélioration de la suicidalité et des conduites auto-agressives avec la fluoxétine et la Sertraline .Dans une étude contrôlée en double aveugle versus placebo sur un petit nombre de sujets souffrant de trouble de la personnalité de type borderline d’intensité léger ou modéré, Salzman et al ont retrouvé une efficacité statistiquement significative de la fluoxétine sur la dimension " colère ". Dans une étude portant sur 40 sujets non déprimés souffrant de troubles de la personnalité, Coccaro et Kavoussi ont constaté une supériorité de la fluoxétine sur le placebo dans l’amélioration des scores d’irritabilité et d’agression mesurés par des auto-évaluations. Une étude récente mérite d’être détaillée car elle est spécifiquement axé sur l’effet d’un IRS (paroxétine) sur la prévention du risque de récidive de gestes suicidaires. Elle porte sur 91 sujets majoritairement affectés de troubles de la personnalité du cluster B et souffrant de conduites suicidaires à répétition mais indemme de trouble psychiatrique de l’axe I et, en particulier de trouble dépressif. Il s’agit d’une étude randomisé en double aveugle avec un suivi d’un an. Bien que les résultats ne soient pas significativement différents sur la population globale, une stratification de la population (sévérité des troubles de la personnalité, nombre de tentatives de suicides antérieures) a permis de faire apparaître une efficacité statistiquement significative chez les patients les moins sévèrement affectés avec une réduction du taux de suicide de plus de 50 % chez les patients traités par rapport aux patients recevant le placebo. Cependant chez les patients ayant un grand nombre d’antécédents de tentatives de suicide ou ayant une personnalité fortement pathologique, la Paroxétine n’est pas supérieurement efficace au placebo. Cet effet ne semble pas lié à l’effet de la paroxétine sur l’humeur ou le désespoir (pas de différence par rapport au placebo).. Il s’agit là de la première étude partiellement positive en faveur de l’effet d’un antidépresseur sur les récidives suicidaires chez des patients non déprimés. Une étude en double aveugle antérieure comparant l’efficacité de la miansérine au placebo chez 58 patients n’avait pas révélé de résultat significatif. Une autre étude n’avait pas retrouvé d’effets favorable de la miansérine ou de la nomifensine . L’amitriptyline, un tricyclique, s’était révélé d’une efficacité limité aux symptômes dépressifs dans le traitement de patients souffrant de troubles de la personnalité de type borderline dans deux études en double aveugle versus placebo et halopéridol conduite par la même équipe . Une aggravation, qualifié de réaction paradoxale par ces auteurs, des menaces suicidaires, des idéations paranoïaques et des conduites hétéro-aggressives était retrouvé chez 15 des 20 patients traités par ce tricyclique . Le rôle des symptômes dépressifs ou des épisodes dépressifs comme facteur de risque suicidaire chez les patients souffrant de schizophrénie est clairement établi . Si les antidépresseurs n’ont pas fait la preuve de leur intérêt dans les phases de décompensation schizophrénique, leur efficacité dans les états dépressifs post psychotiques a été établie par de quelques études contrôlées . Cependant, ces études n’ont pas chercher à mettre en évidence une diminution du risque suicidaire corrélé avec l’efficacité des antidépresseurs.Un dernier point à évoquer concernant les antidépresseurs est celui de leur toxicité. Une crainte légitime des cliniciens prescripteurs est que leurs patients utilisent les produits qu’on leur a prescrit pour une intoxication médicamenteuse volontaire. Il est connu de longue date que les surdosages avec des antidépresseurs tricycliques (à doses relativement modeste) peuvent entrainer de troubles du rythme cardiaque, des crises comitiales, des troubles de la conscience avec coma, toutes ces complications pouvant être mortelles. Les nouveaux antidépresseurs sont beaucoup moins toxique et en particulier ont une toxicité cardiaque beaucoup plus faible. Les études épidémiologiques confirment que l’index de toxicité fatale (nombre de cas d’intoxication mortelle avec un antidépresseur donné sur le nombre de prescriptions de ce même antidépresseur dans une aire géographique donnée) des nouveaux antidépresseurs est beaucoup plus faible que celui des tricycliques . S’il semble logique de déconseiller l’usage des tricycliques, il ne faut toutefois pas surestimer l’impact de cette mesure sur les taux de suicide, car les intoxications mortelle par antidépresseurs ne représente qu’une faible part des causes de décès par suicide. Cependant, le fait de savoir que les nouveaux antidépresseurs sont relativement peu toxiques en cas de surdosage est sécurisant pour les prescripteurs, ce qui ne peut avoir qu’un effet favorable sur la qualité de la prise en charge des patients déprimés.
Les thymo-régulateurs
Le suicide représente la principale cause de mortalité chez les patients souffrant d’une affection maniaco-dépressive ou trouble bipolaire. Le lithium est toujours considéré comme un traitement prophylactique de première intention chez les patients souffrant de cette affection alors que son intérêt chez les patients souffrant de dépression majeure récurrente est toujours discuté. Toutes une série d’études épidémiologiques ont permis d’établir que les patients souffrant de troubles de l’humeur et traités au long cours par lithium connaissaient une réduction importante de leur mortalité " attendue " et en particulier une très faible mortalité par suicide. Ainsi Coppen et al observe 10 décès ( aucun par suicide) après un suivi de 11 ans chez 103 patients traité dans une " lithium clinic " alors que le nombre attendu était de 18,31. Dans une population de 68 patients berlinois suivis dans des conditions similaires pendant 8 ans, Müller-Oerlinghausen et al retrouve un seul décès par suicide chez les 55 patients régulièrement traités par lithium contre 4 chez les 13 patients ayant interrompu leur traitement. Le nombre de tentative de suicide était lui aussi massivement diminué chez les patients régulièrement traités par lithium comparé à celui observé chez les patients ayant interrompu leur traitement. Par ailleurs cette faible occurrence de tentative de suicide chez les patients traités par lithium semblait indépendante de la qualité de leur réponse à ce traitement sur le plan thymique. Ce centre associé à d’autres centres d’europe du nord (The International Group for the Study of Lithium-treated Patients) ont retrouvé une absence d’excès de mortalité par rapport à la population générale dans une population importante (n = 827) de patients traités par lithium. cependant que la mortalité par suicide restait supérieure à celle de la population générale bien que très inférieure à celle attendue chez ces patients . Chez les patients de cette cohorte ayant interrompu le traitement par lithium, le ratio standardisé de mortalité s’élevait à 2,5 52),. Ce même groupe a pu montrer que le risque de décès par suicide dans la première année de traitement par lithium restait 16 fois supérieur à celui de la population générale alors que la mortalité dans les années suivantes étaient identique à celle de la population générale. Ces dernières données sont en faveur d’un effet protecteur du lithium contre le risque de suicide associé à son effet prophylactique des récurrences thymiques. Dans une revue de la littérature portant sur 28 études (plus de 17000 patients), Tondo et al ont calculé que le risque de gestes suicidaires exprimé pour 100 patients par an était de 0,37 chez les patients traités par lithium versus 3,2 chez les patients ne recevant pas ce traitement. Les données précédentes, qui ne relèvent pas d’études randomisées, indiquent clairement que le fait de recevoir et d’observer un traitement par lithium prescrit par une équipe spécialisée est associé à une réduction très importante du risque de gestes suicidaires chez les patients souffrant de troubles bipolaires ou apparentés. Elles ne permettent bien évidemment pas toutefois d’établir un lien de causalité entre cet apparent effet protecteur et l’action pharmacologique du lithium. Cette association constatée peut relever simplement de caractéristiques propres aux patients qui consultent pour leur affection, prennent leur traitement et l’observent au long cours. Cependant, les données d’une étude récente méritent d’être détaillées ici car elles établissent un lien fort entre le risque suicidaire chez un patient bipolaire et le fait d’être traité par lithium ou non et d’avoir interrompu ce traitement. Tondo et al ont relevé la fréquence de survenue de gestes suicidaires chez 310 patients souffrant de troubles bipolaires pendant une moyenne de 8,3 ans avant la mise en place du traitement, pendant une moyenne de 6,4 ans sous traitement, et pendant une moyenne de 3,7 ans après l’arrêt du traitement chez 185 patients. Le risque ajusté de gestes suicidaires est 6,4 fois plus élevé dans la période précédant le traitement comparé à la période sous traitement et surtout s’élève considérablement dans la période qui suit l’interruption du traitement pour revenir à un taux comparable à la période antérieure au traitement par la suite. Ces données en faveur d’un effet protecteur spécifique du lithium vis à vis du risque suicidaire sont fortement soutenues par les données d’une étude contrôlée comparant son effet à celui d’un autre thymorégulateur, la carbamazépine et portant sur 378 patients suivis pendant 2 ans et demi . Sur les neuf suicides et quatre tentatives observé, aucun n’est survenu chez les patients recevant un traitement par lithium, ce qui a fait conclure les auteurs de cette étude à un effet protecteur pour le risque suicidaire du lithium spécifique et indépendant de son effet thymorégulateur. Bien qu’il n’existe pas d’études portant sur l’effet des thymorégulateurs sur le risque suicidaire chez les patients souffrant de troubles de la personnalité de type borderline ou apparentés, on peut retrouver dans le littérature des études sur l’effet de ces produits sur des dimensions que l’on sait être associées au conduites suicidaires. Ainsi dans deux études contrôlées versus placebo, un effet favorable du lithium sur les conduites agressives, les accès de colère et les idées suicidaires a pu être établi. Contrastant en apparence avec les données de Thies-Fletchner et al Cowdry & Gardner ont retrouvé dans une étude contrôlée un effet favorable de la carbamazépine sur le dyscontrôle comportemental.. Deux études ouvertes portant sur de petits échantillons de patients souffrant de personnalité borderline ont retrouvés un effet favorable du valproate sur certaines dimensions du trouble . Il s’agit là plus d’études pilotes que d’études réellement concluantes.
Les neuroleptiques et antipsychotiques
Il est connu de longue date que le risque suicidaire est élevé chez les patients souffrant de schizophrénie. Ce risque est important tout au long de l’évolution de la maladie mais semble maximum dans les premiers temps de l’évolution de cette affection et en particulier dans les périodes qui suivent les premièrs séjours en milieu hospitalier. Il semble par ailleurs que les facteurs de risque suicidaire chez ces patients soient différents selon les phases de la maladie . Il n’a jamais été clairement démontré que les neuroleptiques classiques réduisaient le risque de suicide ou de tentative de suicide chez les patients souffrant de schizophrénie. et l’opinion inverse a même pu être formulée sans preuve non plus. Il est probable toutefois que le caractère contradictoire de ces opinions soit lié à la variation de nature des conditions du passage à l’acte suicidaire dans les différents temps de cette affection et que les neuroleptiques classiques puissent avoir des effets favorables ou défavorables selon le stade évolutif. Dans une étude d’autopsie psychologique, Heila et al, ont retrouvé que parmi 88 sujets décédés par suicide et souffrant de schizophrénie, 57 % des sujets en phase active de leur affection ne recevaient pas un traitement neuroleptique adéquat ou n’étaient pas observant tandis que 23 % de ces sujets n’étaient pas répondeurs au traitement. Les suicides chez les patients hospitalisés se produisaient dans 81 des cas chez des patients indifférent ou négatif quant à leur traitement. Cependant il semble que le taux de suicide observé chez les patients souffrant de schizophrénie et traités par neuroleptiques ne dépende pas du fait qu’ils aient répondu ou pas à ce même traitement quant à leur symptomatologie psychotique . Cependant il existe maintenant des arguments pour penser que l’efficacité des neuroleptiques atypiques ou nouveaux antipsychotiques pourraient se distinguer fortement, de celle des neuroleptiques classiques pour le risque suicidaire. En effet, sur la base de données tirées d’études épidémiologiques, il semble fortement probable que la clozapine ait un effet protecteur contre le suicide. Walker et al ont observé une réduction très importante de la mortalité chez les patients traités par clozapine (risque relatif 0,17) et ont démontré que cette réduction de la mortalité était liée, essentiellement, à une diminution des taux de suicide. Dans une étude clinique portant sur une population 184 patients souffrant de schizophrénie résistante, Meltzer et Okayli ont retrouvé que par rapport à l’état précédant l’initiation du traitement par clozapine, les patients connaissaient une amélioration importante de leurs symptômes dépressifs et de leur suicidalité. Le taux de tentative de suicide est passé de 35 % à 3 %. Il est possible que cette amélioration soit liée à une efficacité supérieure de la clozapine sur les symptômes psychotiques de la schizophrénie mais il est probable qu’il existe un effet spécifique de la clozapine qui pourrait s’expliquer par une diminution de l’agressivité et de l’impulsivité chez ces patients comme cela a pu être attesté dans des petites études ouvertes . La bonne tolérance neurologique de ce produit, en particulier le risque très faible d’induction d’akathisie, doit aussi être évoqué comme un mécanisme putatif de cette réduction du risque suicidaire. Il est, en effet, connu que l’akathisie puisse être à l’origine de conduites suicidaires. Les autres nouveaux antipsychotiques comme l’olanzapine semblent avoir une meilleure efficacité antidépresive que les neuroleptiques classiques comme l’halopéridol. On peut donc imaginer, sur un plan théorique, que le risque de conduite suicidaire soit diminuée par ces produits. Il est possible, aussi, qu’il existe des différences entre ces nouveaux antipsychotiques et dans un essai en double aveugle comparant l’olanzanpine et la rispéridone il a été montré que les patients traités par olanzanpine connaissaient un taux significativement diminué des tentatives de suicide par rapport au taux observé chez les patients traités par Rispéridone (0,6 % versus 4,2 %) .Ces données demandent, toutefois, à être confirmées par des études ultérieures et les résultats de l’étude InterSePT seront particulièrement intéressants dans cette optique. L’utilisation des neuroleptiques dans les troubles de la personnalité associés aux risques suicidaires, en particulier la personnalité Borderline, est elle aussi d’usage assez répandu. Les preuves expérimentales sont extrêmement faibles mais l’on doit citer l’étude conduite par Montgomery et qui avait permis de montrer que l’administration de flupenthixol à action prolongée diminuait les conduites suicidaires comparé au placebo chez une trentaine de patients souffrant de troubles de la personnalité et ayant, au moins, trois antécédents de tentative de suicide bien documentés. L’efficacité du flupenthixol (3 mg/jour) a été aussi évaluée de façon prospective dans une étude ouverte portant sur 13 adolescents souffrant d’un trouble de la personnalité de type Borderline. L’évaluation, après 8 semaines de traitement, a mis en évidence une amélioration sur les mesures de l’impulsivité, de la dépression, et du fonctionnement global . L’inconvénient majeur rencontré avec l’utilisation de ces produits est qu’il semble que cet effet ne se maintienne pas dans le temps et que la mauvaise tolérance de ces produits conduise à un taux élevé de sortie d’essai ou d’interruption de traitement. Ainsi Soloff et al dans une série d’études portant sur l’intérêt de l’haloperidol chez des patients souffrant de trouble borderline de la personnalité , ont conclu à un effet modeste bien que réel contre balancé par la mauvaise tolérance de ce produit.
Les benzodiazépines
L’utilisation des benzodiazépines est très largement répandue et se fonde la relative bonne tolérance et efficacité, au moins à court terme, de ces molécules sur la réduction symptomatique de l’anxiété et des troubles du sommeil. Il faut rappeler que l’anxiété et l’insomnie sont des symptômes fréquemment rencontrés chez les sujets souffrant de conduites suicidaires. Une opinion largement répandue chez les cliniciens est que ces produits pourraient avoir un effet préventif des conduites suicidaires. Cependant, il n’existe que très peu d’arguments en faveur de cette opinion et, à l’inverse, certaines données expérimentales et épidémiologiques conduisent à accréditer la thèse inverse. Ainsi, en 1991 Allgulander et Nasman ont publié les résultats d’une étude de suivi de 10 ans portant sur 26 952 suédois dont 13 708 femmes. Le taux de décès par suicide s’est élevé à 1,1 % chez les femmes utilisant régulièrement des hypnotiques versus 0,1 % chez celles ne les utilisant pas. Le risque relatif après ajustement multivarié est de 2,6. Dans une autre étude épidémiologique au Canada, Neutel et Patten ont retrouvé une association positive entre l’utilisation des benzodiazépines et les tentatives de suicide et ce tout particulièrement chez les sujets n’utilisant pas d’antidépresseurs (risque relatif : 6,2). . L’interprétation de ces données doit être prudente car leur signification n’est pas univoque. Une première hypothèse serait que ces benzodiazépines ont été prescrits à des sujets à risque élevé de suicide et que les taux de suicide observés auraient été plus élevés sans leur utilisation. Une deuxième hypothèse est que ces produits ont été prescrits à des patients qui auraient justifié d’un traitement antidépresseur et que le taux de suicide élevé observé chez ces patients est lié à l’absence de traitement adéquat pour leur trouble dépressif. La troisième interprétation possible c’est que les benzodiazépines ont facilité la survenue des gestes suicidaires. Il est impossible de conclure de façon définitive mais il existe maintenant des arguments, tirés d’études prospectives, qui conduisent à penser que les benzodiazépines peuvent avoir des effets désinhibiteurs et facilitant des passages à l’acte auto-agressif et suicidaire. L’efficacité des benzodiazépines dans le traitement de certains troubles anxieux spécifiques (trouble panique, anxiété généralisée) est maintenant bien établie par de nombreuses études contrôlées versus placebo. Cependant parmi les effets indésirables de ces produits, un risque de desinhibition et de facilitation des passages à l’acte agressif est régulièrement soulevée. Par exemple dans une étude contrôlée versus placebo portant sur le traitement de 150 patients par alprazolam, une désinhibition sévère a été observée chez 14 % des patients recevant le produit actif versus 0 % chez les patients recevant le placebo. Dans une autre étude contrôlée, Bond et al ont évalué à l’aide d’un test comportemental d’agressivité réalisé en laboratoire l’effet de l’alprazolam comparé au placebo chez des patients souffrant de troubles panique. Contrastant avec la perception subjective rapportée par les patients traités par alprazolam d’une réduction de leur sentiment d’hostilité, le test expérimental objectivait un comportement plus agressif en réponse à une provocation. Bien que les benzodiazépines, hormis peut être l’alprazolam, ne soient pas considéré comme des produits doté d’une efficacité antidépressive, leur utilisation en association avec les antidépresseurs dans le traitement de la dépression a été largement recommandée voire même considérée comme une obligation par certains. Cette opinion, largement répandue, est liée au fait que les benzodiazépines sont perçues comme agissant plus rapidement que les antidépresseurs sur l’anxiété et les troubles du sommeil associés aux états dépressifs majeurs (on sait que ces symptômes sont générateurs d’une augmentation du risque suicidaire chez les patients déprimés) et sur le fait qu’elles seraient capables de prévenir le risque suicidaire lié à l’apparition de l’effet désinhibiteur des antidépresseurs, effet qui surviendrait plus précocement que l’effet sur l’humeur. Contrastant avec le caractère très largement répandu de cette opinion, nous n’avons trouvé aucun argument tiré d’études expérimentales en faveur de cette hypothèse. A l’inverse, dans une étude contrôlée, l’association d’une benzodiazépine (prazépam) avec la fluoxamine ne s’est pas révélée significativement supérieure à un traitement par fluoxamine seule dans l’amélioration des symptômes anxieux chez les patients déprimés .Une méta-analyse mérite d’être détaillée ici . Elle porte sur les études contrôlées de l’alprazolam dans la dépression en vue d’évaluer une association possible entre l’alprazolam et risque suicidaire. Les données portant sur 3217 patients (traités par alprazolam, placebo et différents comparateurs) inclus dans 22 études contrôlées ont été analysées rétrospectivement pour évaluer l’émergence d’une aggravation ou d’un amendement des idées suicidaires pendant le traitement par ces différentes traitements. Les auteurs concluent à une absence de risque supérieur d’émergence d’idées suicidaires ou d’aggravation des idées suicidaires avec l’alprazolam par rapport au placebo. Cependant, une proportion significativement plus élevée de patients connaissant une aggravation de leurs idées suicidaires est rencontré chez les sujets traités par alprazolam comparé aux sujets recevant un comparateur actif (principalement l’imipramine et l’amitriptyline), et une proportion significativement plus élevée de sujets connaissant une amélioration de leurs idées suicidaires est rencontrée chez les sujets recevant un comparateur actif par rapport aux sujets traités par alprazolamL’utilisation des benzodiazépines chez les patients souffrant de troubles de la personnalité est très largement répandue sans que cette pratique ne soit supportée par des données tirées d’études expérimentales. A l’inverse, l’expérience clinique et de nombreux rapports de cas ont mis en évidence le risque élevé d’apparition d’induction de trouble du comportement chez les sujets souffrant de troubles de la personnalité, en particulier les troubles du cluster B du DSM. Dans une étude contrôlée utilisant une méthodologie dite en cross-over, Cowdry et Gardner ont retrouvé l’apparition d’un dyscontrôle comportemental sévère chez 7 patients recevant l’alprazolam comparé à 2 patients recevant le placebo. Ces troubles du comportement disparaissaient après l’interruption du traitement par alprazolam. De façon intéressante et concordante avec les données de l’étude de Bond cités plus haut, ces auteurs signalaient que bien que les cliniciens jugeaient de façon négative l’effet de l’alprazolam chez ces patients en raison de cette augmentation de troubles du comportement, les patients eux-mêmes l’évaluaient positivement en raison de l’effet de ce produit sur leurs manifestations affectives. Une étude de suivi naturaliste de sujets suicidants a permis de mettre en évidence un risque de récurrence de tentative de suicide plus élevé chez les patients recevant des benzodiazépines avant la tentative de suicide index comparé au risque observé chez les patients n’en recevant pas. Verkes et al ont suivi 95 patients sur un an et ont retrouvé un risque de récurrence deux fois plus élevé chez les patients utilisant les benzodiazépines au moment de leur tentative de suicide index. Ils concluent qu’un biais de prescription ne peut expliquer qu’une partie de cette élévation du risque de récidive puisque le risque reste élevé après correction pour les autres facteurs prédictifs du risque de répétition (nombre de TS antérieures, désespoir, idées suicidaires, et humeur dépressive) .
Conclusion
On ne peut être que frappé par la rareté des données issues d’études contrôlées sur le sujet qui nous intéresse ici. Les difficultés méthodologiques évoquées dans l’introduction n’expliquent qu’en partie cette situation à notre sens, et il nous semble que la pauvreté des recherches conduites dans ce domaine est liée à des raisons multiples : problèmes éthiques, difficultés à concevoir les conduites suicidaires comme des pathologies ou à étayer des hypothèses étiopathogéniques permettant de justifier de telles études d’intervention pharmacologique, absence d’arguments tirés d’études antérieures suscitant la confiance nécessaire pour investir dans ce type d’études. Cependant il semble que la situation soit en voie de se modifier, et cette évolution positive mérite d’être fortement encouragée compte tenu de la gravité de cette question.
Les données dont nous disposons permette de considérer que le fait d’être traité par antidépresseurs constitue une protection contre le risque de survenue de gestes suicidaires chez les patients souffrant de troubles dépressifs sans pouvoir conclure que cette protection est spécifiquement lié à l’effet pharmacologique de ces molécules. Par ailleurs, les antidépresseurs et en particulier les molécules favorisant la transmission sérotoninergique ont un impact favorable sur les idéations suicidaires et ce de façon statistiquement supérieure par rapport au placebo. Il est impossible de savoir si cette amélioration relève d’un effet spécifique ou résulte de l’amélioration de l’état dépressif ni d’affirmer que cette amélioration constatée quant aux idées suicidaires à un impact sur le risque de survenue de gestes suicidaires. Chez les patients souffrant de troubles bipolaires, le fait d’être traité au long cours par un sel de lithium constitue clairement une protection contre le risque de survenue de gestes suicidaires. Comme pour les antidépresseurs, les mêmes restrictions quant à l’action pharmacologique spécifique du lithium dans cet effet sont à retenir. Il n’existe pas d’arguments permettant d’attribuer aux autres thymorégulateurs cet effet. Chez les patients souffrant de troubles de la personnalité et de conduites suicidaires fréquentes, il est possible que les IRS aient un effet favorable mais limité à certaines catégories de patients qu’il est urgent de définir. Les neuroleptiques incisifs à faible posologie peuvent constituer un appoint utile mais leur mauvais profil de tolérance et la méconnaissance de leur ratio bénéfice risque constitue un sévère argument contre leur utilisation dans cette indication. L’intérêt des antipsychotiques dits atypiques dans cette indication est possible mais reste à établir. Chez les patients souffrant de troubles schizophréniques, il est probable que la clozapine ait un effet protecteur contre le risque de survenue de gestes suicidaires en gardant en mémoire que cet effet a été constaté chez des patients souffrant de schizophrénies résistantes au traitement. Que cet effet favorable puisse être étendu aux autres antipsychotiques atypiques reste à démontrer. Contrastant avec des croyances fortement répandus en France, il n’existe pas à notre connaissance de preuves expérimentales en faveur d’un intérêt des benzodiazépines dans cette indication. A l’inverse, un certain nombre d’études plaident en faveur d’un probable effet défavorable de ces molécules chez certaines catégories de patients.

Dr medic Karol Chami 9/2011

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