recommandations L’anticoagulation orale est largement utilisée dans la prévention des événements thromboemboliques et notamment en cas de : thrombose veineuse profonde, embolie pulmonaire, fibrillation auriculaire, prothèse valvulaire mécanique, valvulopathies, accident vasculaire cérébrale, et infarctus du myocarde. Les antivitamines K (AVK) sont des composés chimiques et organiques qui inhibent l’action de la vitamine K au niveau de l’hépatocyte. Ce sont les seuls anticoagulants disponibles par voie orale. La survenue d’hémorragie lors des soins bucco-dentaires, reste la complication la plus redoutée des AVK. Dans l’objectif d’optimiser la prise en charge des patients sous AVK en chirurgie bucco-dentaire, de nouvelles recommandations ont été élaborées par la Société Française de Cardiologie en collaboration avec la Société Francophone de Médecine Buccale et Chirurgie Buccale. Mots clés : Antivitamines K, Thérapeutiques parodontales, Risques hémorragiques, Moyens d’hémostases locaux INTRODUCTION Avant une thérapeutique parodontale, se pose le problème de la conduite à tenir vis à vis du traitement par AVK: poursuite avec ou sans diminution de la posologie ou arrêt transitoire avec ou sans relais par une héparinothérapie. Le choix entre ces différentes stratégies dépend du risque hémorragique et du risque thromboembolique qui doivent être évalués chez chaque patient pour obtenir le meilleur rapport bénéfice/risque. A travers ce travail nous allons étayer les précautions à prendre chez les patients sous AVK avant, en cours et après toute thérapeutique parodontale et ceci sous la lumière des nouvelles recommandations. PRECAUTIONS EN PRE-OPERATOIRES L’attitude recommandée en première intention est de réaliser les soins parodontaux et implantaires en poursuivant le traitement AVK (1, 2, 3, 4). Cette attitude thérapeutique est justifiée par plusieurs séries de cas récentes, qui n’ont montré que de rares complications hémorragiques sévères (sans séquelles) et aucun décès, alors que des complications thromboemboliques mortelles ont été décrites après arrêt ou modification du traitement par AVK (5, 6, 7). La décision de réaliser les soins bucco-dentaires sans interruption ou diminution du traitement AVK, doit être prise en se basant sur trois paramètres principaux (6): 1. La valeur de l’INR* (International Normalized Ratio), qui constitue une composante clé sur laquelle on se réfère pour la réalisation des soins bucco-dentaires chez ces patients * L’INR est un mode d’expression du temps de Quick* (TQ), ce système est basé sur la calibration de la thromboplastine utilisée dans le laboratoire par référence à un standard international. L’index de calibration est appelé ISI. L’INR est le rapport de temps de Quick (malade / témoin) élevé à la puissance ISI. * Le temps de Quick consiste à recalcifier le plasma en présence d’un excès de thromboplastine tissulaire. Ce temps de coagulation est compris entre 11 et 13 secondes (en pourcentage, la normale se situe entre 70 % et 100 %). 2. La nature des soins parodontaux et dentaires à réaliser, et surtout leurs caractères invasifs et leurs étendus, 3. La présence de pathologies ou médications pouvant interférer avec le traitement AVK. Un contact préalable avec le cardiologue est indispensable : Le chirurgien dentiste doit s’informer sur la pathologie dont souffre le patient, sa gravité, son ancienneté, les éventuelles complications associées et les traitements médicamenteux en cours. En revanche le chirurgien dentiste doit décrire au médecin traitant les thérapeutiques parodontales ou implantaires à instaurer ainsi que le risque hémorragique qui leurs sont associées (2, 8, 9) (tableau 1).
Tableau 1 : Evaluationdu risque hémorragique selon l’acte opératoire à réaliser (9) La valeur de l’INR doit être stable et inférieure à 4 (tableau 2): Dans la majorité des indications des AVK, l’INR souhaité se situe entre 2 et 3. Dans de rares cas, la zone thérapeutique de l’INR souhaité se situe entre 3 et 4.5 pour les patients porteurs de prothèses valvulaires mécaniques ou de valvulopathies mitrales sévères avec facteurs favorisants (6). Il est donc recommandé, pour prendre en charge ces patients sans modification de leur traitement par AVK, que l’INR soit stable et inférieur à 4 (6). * Si la valeur de l’INR est située entre 2 et 3.5, la majorité des procédures parodontales chirurgicales et non chirurgicales peuvent être réalisées en milieu ambulatoire, sous réserve de vérifier l’INR dans les 24 heures avant l’intervention et d’utiliser les moyens locaux d’hémostase (4, 6, 9, 10). * Si la valeur de l’INR est supérieure à 3.5, le traitement AVK doit être ajusté. (6) Dans ce cas le médecin traitant peut réduire la dose de l’AVK 2 à 3 jours avant les soins bucco-dentaires, et doit reprendre le test INR la matinée de l’intervention, pour s’assurer que sa valeur est inférieure à 4. Une prise en charge hospitalière est recommandée si les conditions suivantes sont associées : ? INR supérieur à 3.5, * Procédures chirurgicales parodontales jugées invasives (risque hémorragique élevé), * Présence d’un risque médical associé (patient traité par l’association AVK / agents antiplaquettaires, patients présentant une pathologie hépatique ou rénale, patients consommant l’alcool de façon excessive). Dans ces cas, l’instauration d’un relais du traitement AVK par héparine non fractionnée ou de bas poids moléculaire en milieu hospitalier est possible (4, 6, 9) * L’arrêt total de l’AVK n’est pas recommandé (6). Tableau 2 : Arbre décisionnel (9) Ces recommandations se limitent aux AVK prescrites au long cours, les patients ayant une pathologie cardiovasculaire non stabilisée et/ou possédant d’autres anomalies constitutionnelles ou induites de l’hémostase ainsi que les patients traités par l’association AVK/agents antiplaquettaires et ceux pris en charge en urgence ne sont pas concernés par ces recommandations. Ces cas particuliers imposent une hospitalisation, une concertation pluridisciplinaire et une hémostase spécifique à chaque cas. PRECAUTIONS EN PER-OPERATOIRES L’anesthésie loco-régionale (exemple : à l’épine de spix) est déconseillée afin de prévenir le risque d’hématome pharyngé. En effet la pratique d’une anesthésie loco-régionale chez un patient avec un INR supérieur à 2, l’expose à un risque d’hématome pouvant obstruer les voies aériennes (2, 8, 9, 11). Il est donc recommandé d’utiliser une anesthésie locale avec vasoconstricteur sauf dans les rares cas de contre-indication à son emploi. Ces vasoconstricteurs jouent un rôle important dans le contrôle per-opératoire de l’hémorragie (2, 8, 9, 11). L’anesthésie locale doit être lente, non brutale et peut se faire en para-apicale, intra septale ou intra ligamentaire (2, 8,11). Le détartrage et la chirurgie gingivale doivent être initiées sur une surface localisée afin d’évaluer l’intensité du saignement (2). La phase chirurgicale doit être la plus atraumatique possible, la manipulation des tissus mous lors de la chirurgie parodontale ou implantaire doit être minutieuse, il est recommandé de préserver au maximum les tissus (gencive adhérente, papille) pour favoriser une cicatrisation de première intention (2, 8). L’étendu ainsi que la tension appliquée sur le lambeau doivent être minimisées. Si une alvéolectomie s’impose pour accomplir l’extraction dentaire, une quantité très faible du tissu osseux doit être éliminée, ceci permettra de préserver les parois osseuses nécessaires pour la stabilisation du caillot sanguin (12). La pose d’implants est précédée au préalable par une étude scanner permettant de localiser les tables alvéolaires et de prévenir leur effraction (13). Une attention particulière doit être portée à la région mentonnière, où chemine les branches terminales de l’artère sub linguale et sous mentonnière, ces dernières perforent la corticale linguale de la mandibule à la fin de leurs trajets, et peuvent être à l’origine d’hémorragie massive et importante en cas de leur traumatisme lors des procédures chirurgicales ou implantaires (13, 14). Le tissu de granulation, les granulomes et les kystes doivent être curetés en totalité et essentiellement après extraction des dents atteintes parodontalement afin de diminuer le saignement per et post opératoire (2, 5, 6). En effet la persistance de tissu inflammatoire et/ou infecté au niveau du site opéré peut être la cause d’hémorragie post-opératoire (2, 12). L’utilisation systématique des moyens d’hémostase locale reste la règle, ils comprennent : Une compression locale immédiate en post opératoire pendant au moins 10 minutes (2, 4,15, 16, 17, 18). L’application des gazes résorbables : ces matériaux biologiques permettent de procéder à l’hémostase en particulier lors d’hémorragies en nappe ou de suintement hémorragiques. Les produits actuellement disponibles sont constitués de cellulose oxydée, soit neutraliseé par l’acétate de calcium (Sorbacel®), soit régénérée stérile (Surgicel®). Les recommandations d’utilisation des gazes résorbables (Surgicel®) sont d’éviter un méchage serré et de ne pas appliquer la gaze sur un tissu osseux insuffisamment irrigué. (2, 5, 9) L’utilisation des colles hémostatiques : ces produits permettent un traitement adjuvant de l’hémostase locale. Ils sont d’origine biologique (Biocol® = fibrinogène humain cryodesséché) (5, 18, 19). Réalisation de sutures : les plaies doivent être suturées (soie, polyamide, polypropylène) avec mise en place de points de suture unitaires séparés. Les fils à résorption rapide, présentent l’intérêt de ne pas nécessiter de réintervention et d’accumuler moins de plaque bactérienne. Les surjets sont à éviter car le risque de saignement est plus important si un point de suture lâche (2, 4, 17). La pose d’un pansement parodontal type (Coe-pack®) collé aux dents en vestibulaire et en linguale, présente l’avantage d’assurer une hémostase immédiate du site, de prévenir le traumatisme de la plaie, et de préserver le confort du patient (nutrition, déglutition..) (2, 20). Les gouttières de compression en silicone ou en résine peuvent être utilisées comme technique de compression complémentaire (21, 22). PRECAUTIONS POST OPERATOIRE Le contrôle de la douleur s’effectue par utilisation de paracétamol en première intention. L’acide acétylsalicylique ainsi que les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) sont contre-indiqués. Si une prescription anti-inflammatoire se révèle nécessaire, des corticoïdes en cure courte sont privilégiés (9, 18). Pour le contrôle de l’infection la clindamycine reste l’antibiotique de choix chez les patients sous AVK. Les antibiotiques, comme la pénicilline, l’érythromycine, la tétracycline, le métronidazole, les associations ampicilline/acide clavulanique et amoxicilline/acide clavulanique, doivent être évités, car ils potentialisent l’action des AVK. (6, 9). Le rinçage buccal par un bain de bouche est contre-indiqué pendant les 24 premières heures, afin de garantir la stabilisation du caillot sanguin formé (4, 5, 22). Il est largement recommandé d’utiliser un bain de bouche à base d’acide tranexamique 24 heures après le traitement parodontal. Le protocole recommandé est de se rincer la bouche avec 10 ml d’acide tranexamique (Exacyl®) à 4.8% ou 5%, 4 fois par jour pendant 5 à 8 jours (2, 6, 23, 24). L'acide tranexamique, dérivé synthétique de la lysine, est un antifibrinolytique indirect. Il agit par transformation du plasminogène en plasmine inactive, et constitue de ce fait une médication efficace fiable et économique dans la prévention des saignements post opératoires (6, 23, 24). Il faut éviter de désorganiser le caillot par des mouvements de succion ou à l’aide d’objets étrangers (cure dent) (2, 6, 9, 17). On recommande au patient de ne pas fumer ni boire d’alcool et de prendre une alimentation liquide, non chaude et riche en protéines surtout les premiers jours (2, 6, 9, 17). PISE EN CHARGE DE COMPLICATIONS HEMORRAGIQUES POST OPERATOIRES Il se peut que le saignement récidive quelques heures ou quelques jours après l’intervention, il peut se manifester par un suintement ou un écoulement provenant du site opératoire et/ou la présence de caillots exubérants dans la cavité buccale avec une sialorrhée sanguinolente (2). Dans ces conditions, la règle est la reprise chirurgicale: après anesthésie locale, la plaie est réouverte et vérifiée, les procédures d’hémostase sont ensuite reprises (9, 18, 25). Une exploration de l’hémostase comprenant la mesure de l’INR et la numération plaquettaire doit être réalisée (9, 18, 26, 27, 28). Si le saignement persiste, Le patient doit être hospitalisé dans un service adapté afin de pouvoir le surveiller et instaurer dans de bonnes conditions le traitement médical (9 ,18). CONCLUSION Les AVK constituent une médication efficace pour la prévention et le traitement des phénomènes thromboemboliques. En revanche, ils peuvent engendrer des complications hémorragiques en per et post opératoire lors des thérapeutiques parodontales. L’arrêt de la thérapie anticoagulante avant la thérapeutique parodontale expose le patient à de sérieux problèmes vasculaires associés à une morbidité élevée. Actuellement, les études récentes recommandent la pratique des traitements parodontaux en poursuivant le traitement anti-vitamines K. En majorité des cas, le contrôle de l’hémostase est assuré en première intention par des techniques locales avec des moyens physiques, en deuxième intention les moyens pharmacologiques viendront consolider l’hémostase physique. Enfin nous insistons sur la nécessité d’une coordination complète entre chirurgien dentiste et cardiologue durant toute la durée de la prise en charge du patient, car c’est le garant principal de la réussite de notre thérapeutique |
Dr medic Karol Chami
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