duminică, 31 octombrie 2010

Le délire



Une grande confusion ne s'est elle pas établie ? La psychiatrie, la psychologie et la psychanalyse se servent des mêmes mots pour désigner des choses différentes : délire ou hallucination, par exemple, mais aussi les concepts nosographiques sur lesquels il faudrait revenir pour bien évaluer leur l'intérêt en vue de l'indication de la cure analytique et de la possibilité de prévision de son déroulement. Chacun de ces savoirs a une approche radicalement différente des mêmes faits. La description que chacun propose des mêmes phénomènes ne trouve de correspondance qu'assez floue et trompeuse. Les mots n'ont pas partout le même sens, la même valeur. La psychanalyse se meut dans un univers organisé par une conception topique, économique, dynamique et génétique de la vie de l'esprit. Tout autres sont les mondes de la psychologie ou de la psychiatrie.
Pour le psychiatre l'appréciation du délire est fonction de l'adéquation supposée du discours à la réalité, alors que pour le psychologue elle dérive de la supposition de la logique interne du discours. Si la psychanalyse n'abandonne pas entièrement ces critères, dans la mesure où ils dessinent l'ébauche d'une topique, elle élabore surtout une appréciation métapsychologique de ce discours.
Freud a transformé la compréhension du délire et de l'hallucination lorsqu'il est revenu à l'ancienne distinction entre représentation de chose et représentation de mot, en lui donnant une nouvelle portée. Il a avancé la possibilité de leur disjonction, selon des modalités particulières, comme loi fondamentale de la pensée inconsciente, ce que montre notre pratique analytique de tous les jours. Il a indiqué également l'importance du langage d'organe, du refoulement et du retour de refoulé, le délire ou l'hallucination correspondant à des tentatives de guérison, et non pas au processus pathologique lui-même. Il a avancé enfin que la satisfaction hallucinatoire du désir succède au déclenchement du signal de besoin. Rappelons aussi l'importance dans cette démarche, mais aussi dans celle de toute la métapsychologie, de quelques brèves notations, beaucoup trop souvent négligées, portant sur la névrose et sur la psychose  La psychanalyse offre ici un excellent exemple de la radicalité de la différence existante entre sa démarche et celle d'autres disciplines ayant en apparence les mêmes objets.
Une fois parcourus les stades du développement libidinal établis par Freud, étudiés par Abraham et approfondis par Klein, une fois accomplie l'exploration de leurs combinaisons, pour comprendre le délire et l'hallucination, nous voyons Deleuze reprendre l'opposition surface-profondeur et lui accorder une amplitude nouvelle. La surface conduit toujours à la profondeur et la profondeur ramène à la surface. L'image de la bande de MSbius, proposée par Lacan, tisse délicatement ces remarques. Ainsi : « La bouche non pas seulement comme une zone orale superficielle, mais comme l'organe des profondeurs, comme bouche-anus, cloaque introjectant et projetant tous les morceaux ; le cerveau, non pas seulement comme organe corporel, mais comme inducteur d'une autre surface invisible, incorporelle, métaphysique, où tous les événements s'inscrivent et symbolisent. C'est entre cette bouche et ce cerveau que tout se passe, hésite et s'oriente. Seule la victoire du cerveau, si elle se produit, libère la bouche pour parler, la libère des aliments excrémentiels et des voix retirées, et la nourrit une fois de toutes les paroles possibles
Dans les profondeurs du corps se trouvent non seulement toutes sortes d'éléments liquides, mais aussi toutes sortes d'éléments solides, comme les os et les tissus. Le combat engagé entre eux, bataille entre l'océan et les rochers, produit une grande variété de bruits, d'explosions, de hurlements, de chuintements. L'une des toutes premières plaintes de Schreber porte sur « un craquement revenant à intervalles plus ou moins longs Il pensa à une souris dans le mur de sa chambre, il s'agissait du début de l'effondrement de sa capacité de penser de manière réaliste. Le « miracle du hurlement » viendra plus tard. Il est aussi évident qu'il ne suffit pas qu'un bruit se produise à travers la bouche pour qu'il soit reconnu par son dépositaire comme parole, ou même comme sa propre voix.
Peu après Deleuze, Foucault apportait sa compréhension du délire et de l'hallucination. « Quand la désignation disparaît, que les choses s'imbriquent avec les mots, alors c'est la bouche qui se ferme. Quand la communication des phrases par le sens s'interrompt, alors l'Sil se dilate devant l'infini des différences. Enfin, quand le code est aboli, alors l'oreille retentit de bruits répétitifs. Je ne veux pas dire que le code entre par l'oreille, le sens par l'Sil, et que la désignation passe par la bouche (ce qui était peut-être l'opinion de Zénon) ; mais qu'à l'effacement d'une des dimensions du langage correspond un organe qui s'érige, un orifice qui entre en excitation, un élément qui s'érotise. ... Alors les lieux du langage µ bouche, Sil, oreille µ se mettent à fonctionner bruyamment dans leur matérialité première, aux trois sommets de l'appareil qui tourne dans le crâne. » Le privilège du mode de fonctionnement sera accordé « à l'une d'entre elles, selon la dimension du langage que leur souffrance, leur précaution ou leur allégresse ont exclu en première instance  Retenons cette notion de lieux du langage et des qualités qui les animent : douleur, joie, attention.
En ce sens, la compréhension du délire et de l'hallucination dépasse la compréhension de ce qui vient les organiser dans la chaîne transgénérationnelle ; elle exige davantage que la connaissance de leurs structures ou que la connaissance des figures présentes tantôt au niveau de leur contenu manifeste, tantôt au niveau de leur pensée latente. La compréhension du mode de travail individuel du délire ou de l'hallucination montre que les organes et les produits du corps, une fois désarticulés, cherchent à créer des nouveaux liens, de manière que tel sentiment ou telle pensée corresponde à l'un d'entre eux, à tel membre de la famille ou de l'entourage, à tel ancêtre, à tel signifiant. Tel élément de l'univers peut aussi venir s'inscrire immédiatement sur le corps ; celui-ci, pour sa part, cherchera partout où se situer et se représenter. Ainsi, les spermatozoïdes, pour Schreber, n'étaient pas contenus dans telle partie de son corps, mais s'éparpillaient dans des lointaines constellations, son estomac ne trouvait pas sa place dans son ventre, mais collait à la voûte céleste, l'écoute de la musique ne correspondait pas à l'enchantement devant la créativité humaine, mais devenait enjeu conflictuel pour imposer le silence aux voix qui lui parlaient dans le crâne et sous les cieux, « pensée musicale de ne penser à rien ».
Nous avons un ensemble de propositions : le délire est effort de pensée pour représenter la transformation du moi ; l'hallucination correspond à l'arrêt de la pensée et à la décharge pulsionnelle sur le mode de la perception de ce qui aurait pu se présenter comme pensée « en images » ou comme souvenirs ; l'hallucination d'organe est déjà début de transformation du moi. Ces conceptions peuvent être étendues aux communautés humaines. Il ne s'agit pas seulement de connaître ce qu'elles étaient au départ et ce qu'elles sont devenues par la suite, mais surtout de dévoiler leurs modes de travail, aussi bien seuls que dans leurs interférences réciproques. Nous pouvons ainsi comprendre la religion comme effort délirant, à partir de la dissémination d'une hallucination, pour maintenir ensemble une communauté à laquelle s'est imposé l'éparpillement. Nous pouvons comprendre les idéologies comme tentatives délirantes d'expliquer et de maîtriser des transformations politiques, sociales et économiques, largement hors de leur portée. Nous pouvons imaginer la politique comme effort des hommes pour vivre ensemble et se protéger de leur commune folie, effort qu'ils réalisent le plus souvent à leur insu. Nous pouvons imaginer l'ensemble des productions culturelles comme conséquence de la diversification et de l'enrichissement des modes de perception et des sensations . D'autres précisions importent.
La satisfaction hallucinatoire du désir entoure la demande et constitue le tout premier moment de séparation entre besoin et désir. Freud écrit sur la satisfaction hallucinatoire du désir de se nourrir. Imaginons une satisfaction hallucinatoire du désir d'entendre et du désir de voir, par exemple, étayée sur le besoin d'entendre et de voir, qui précède les premières tentatives de demande d'entendre et de voir, et leur succède aussi, avant l'apparition du désir. Imaginons encore des satisfactions hallucinatoires du désir de sentir, de goûter, de toucher, de se mouvoir, de connaître le corps propre. Imaginons les désirs qui peuvent accompagner l'infinitude des sensations et des perceptions, dans l'articulation des organes entre eux.
Dans leur mode de travail, nous pouvons les imaginer ensemble, les uns par rapport aux autres également. Schreber en témoigne lorsqu'il décrit la correspondance entre tel son et tel goût dans la bouche, telle sensation dans telle partie du corps, telle image, telle odeur. Le délire est effort de pensée sur l'hallucination. L'hallucination est transformation des modes de perception et de sensation qui auraient abouti à des pensées.

Dr med Karol Chami

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