duminică, 31 octombrie 2010

Le trouble de la personnalité multiple

  
Le phénomène aux États-Unis
En 1998, Ian Hacking [5] écrit que le trouble de la personnalité multiple, phénomène psychiatrique qui, depuis plus de trente ans, a occupé le devant de la scène aux États-Unis, a nourri des liens étroits avec le spiritisme et la réincarnation : «  On pensait que certains alters pouvaient être des esprits qui élisaient domicile dans une personnalité multiple, et que les médiums pouvaient être des personnalités multiples qui offraient l’hospitalité aux esprits » [6]. Or, les thérapies de la mémoire retrouvée furent les plus efficaces pourvoyeuses de la multiplicité. Les personnalités multiples, en majeure partie des femmes, prenant leur revanche sur les chasses aux sorcières d’antan, prétendirent retrouver des souvenirs de possession par des êtres diaboliques et par Satan lui-même.  Dans les années 1980 et suivantes, les pères incarnèrent ces démons.
Les cas de Sheri Storm et de Nadean Cool n’étant pas isolés aux États-Unis, une association s’est créée en 1992 à Philadelphie, pour aider les parents et les victimes de ces thérapies de la mémoire retrouvée, la False Memory Syndrome Foundation (FMSF), faisant pendant à l’International Society for the Study of Multiple Personality and Dissociation (ISSMP&D), mouvement de soutien aux personnalités multiples et dissociées, créé en 1990 par des psychiatres. La FMSF, dès sa fondation, fut composée de professionnels et de chercheurs, tels que Fred Frankel, Paul McHugh, Harold Merskey, Martin Orne, Elizabeth Loftus, Richard Ofshe, ou encore Martin Gardner, mathématicien, auteur de nombreux livres, spécialiste des mathématiques récréatives. Il est un des pères fondateurs du scepticisme scientifique aux Etats-Unis, connu entre autres par sa chronique sceptique à l’égard de la parapsychologie dans le Scientific American, ainsi que James Randi, membre fondateur du Committee for Skeptical Inquiry (Comité pour l'investigation sceptique) anciennement Committee for Scientific Investigation of Claims of the Paranormal (Comité pour l'investigation scientifique d'allégations au paranormal).

Le phénomène en France
En France, on ne parle pas de cas réels de personnalités multiples, mais des œuvres de fiction mettent en scène ce trouble, misant sur le sensationnel. C’est le cas du film français, Dédales, de René Manzor, sorti le 10 septembre 2003, avec Lambert Wilson dans le rôle du psychothérapeute, Sylvie Testud, dans celui de Claude, personnalité multiple auteur de vingt sept meurtres, et de Frédéric Diefenthal, psychiatre.
Les premières paroles du film sont prononcées par le thérapeute de Claude : « L’individu n’est en fait que la somme des personnalités multiples qu’il abrite. Ce n’est qu’à nos inhibitions que nous devons cette impression d’unité que nous donnons. Ce que les autres appellent notre caractère n’est en fait que le bouclier qui protège ce que nous sommes vraiment, une enveloppe sociale destinée aux échanges. […] L’histoire de Claude est une histoire vraie. C’est un des cas les plus étranges de la psychiatrie moderne. » Cela pourrait n’être qu’un thriller ordinaire. Mais voilà, c’est un film français de 2003, qui exploite la fascination pour les personnalités multiples. À la fin du film, on a compris que si Claude est la personnalité principale, le thérapeute et le policier en charge de l’affaire sont ses personnalités secondaires ou ses « alters ». Un thriller, mais aussi une véritable histoire de fous.
En juillet 2009, une troupe de théâtre, La Compagnie Les Arrosés, a donné un spectacle intitulé Inego « sans ego ?», à l’Avant-Scène de Cognac, sur le thème de la multiplicité. Elle s’est inspirée de cas historiques, tels que ceux de Sally Beauchamp, patiente de Morton Prince, psychiatre qui, avec William James, introduisit aux États-Unis les idées de Pierre Janet sur la dissociation, et de Billy Milligan, dont Daniel Keyes retraça la vie…, avec comme argument : « Nous sommes quatre, mais en vérité je suis unique ! Qui sommes-nous ? Je suis seul, mais en réalité, nous sommes quatre ! Qui suis-je ? »
De nombreuses biographies américaines de personnalités multiples ont été traduites en français, et se vendent sur des sites comme Amazon.fr, telles que Joan, l’autobiographie d’une personnalité multiple [7] La proie des âmes [8], Les Mille et une vies de Billy Milligan [9], dont les droits ont été achetés par la Warner pour le film The Crowded room.

Les premiers cas
C’est en France, à la fin du 19e siècle, que les premiers cas de dissociation de la personnalité ont été décrits, à l'époque de Janet et de Charcot, au moment où naissaient les sciences de la mémoire, avant de disparaître du devant de la scène. Mais, à cette époque, les personnalités observées étaient seulement doubles. C’est à partir des années 1960, aux États-Unis, qu’elles devinrent multiples, très souvent après leur prise en charge par des psychiatres. Au début, la plupart des patients consultant un thérapeute pour cause de dépression, ou d’anxiété, ne présentaient pas de troubles dissociatifs. Toutefois, écrit Ian Hacking, en 1980, en raison de la médiatisation apportée à ces cas, certaines personnes annonçaient le nombre de leurs personnalités en entrant dans le cabinet du thérapeute, alors que beaucoup de praticiens ne savaient pas encore poser ce diagnostic. Peu à peu, on assista à une explosion du nombre de  cas et, dans les années 1990, un patient pouvait prétendre abriter plusieurs dizaines de personnalités alternantes. Selon les psychiatres qui rapportent ces cas, les personnalités multiples  seraient des « survivants », c’est-à-dire des adultes ayant été victimes d'abus sexuels précoces répétés. L’ISSMP&P, reflet de cette évolution, s’est lui-même développé rapidement : « […] on peut dire que le mouvement a germé dans les années 60, a émergé dans les années 70, est venu à maturité dans les années 80, et s’adapte aux nouvelles conditions d’environnement dans les années 90.» En ce qui concerne la composition de ce mouvement, Hacking, qui en fit partie au début, écrit qu’il est constitué à égalité de patients et de thérapeutes, qui « disent qu’eux-mêmes ont souffert de troubles dissociatifs, et ajoutent qu’ils ont retrouvé au cours de leur première thérapie les souvenirs des abus qu’ils avaient subis dans leur enfance »[10]. La « personnalité multiple » est devenue un diagnostic officiel de l’American Psychiatric Association en 1980, puis le DSM-IV, (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, utilisé en Amérique du Nord et également en Europe), l’a désignée en 1994 sous le vocable de « trouble dissociatif de l’identité », sans changer les symptômes, au prix d’une rude querelle entre les tenants de la personnalité multiple et les sceptiques, qui voulaient rompre avec le folklore des descriptions.
Divers auteurs, tels que Spiegel (1997), Spanos (1998), Hacking (1998), Rieber (1999), Borch-Jacobsen (2009)…, se sont demandé si la soudaine et terrible inflation du nombre de cas de  personnalités multiples, à partir de 1970, n’était pas la conséquence de pratiques de plus en plus répandues, les abus sexuels sur les enfants. Mais allant plus loin, ils se sont demandé si ces pratiques d’abus sexuels sur les enfants étaient réellement aussi répandues ou si ce phénomène n’était pas plutôt le fait d’une obsession américaine, tendant à voir, à partir de 1960, des violences sexuelles sur les enfants, là où on voyait avant des violences physiques, comme le  syndrome de l’enfant battu ou secoué.

Et demain ?

C’est pourquoi, il parait légitime de se demander si ce phénomène de personnalité multiple  peut éclore, et se répandre, en France au 21e siècle, opérant en fin de compte un retour sur sa terre d’origine. On croit la France cartésienne à l’abri de ce trouble, mais on la croyait aussi à l’abri du «syndrome des faux souvenirs ». C’était ce que pensait Edward Behr : « Ce phénomène, jusqu’ici surtout américain, est-il envisageable en France ? Même parmi ceux qui croient que tout fait social américain (qu’il s’agisse de mode, de fast food ou d’autres traits de style de vie) finit par traverser l’Atlantique et s’implanter en Europe, parfois avec quelques années de retard, on peut quand même avoir un certain scepticisme. » [11] Scepticisme, pour quelles raisons ? Parce que le contexte historique et l’imaginaire social ne sont pas les mêmes en France et aux États-Unis ? Pourtant, si le phénomène de la mémoire retrouvée en thérapie a débuté chez nous dès les années 1995, et se trouve actuellement en pleine expansion, pourquoi échapperions-nous au trouble de la personnalité multiple, dont la cause prétendue sont les abus sexuels dans l’enfance dont il faudrait « retrouver les souvenirs » en thérapie ? Qu’aux États-Unis les souvenirs retrouvés d’inceste aient dérivé en souvenirs d’enlèvements et de viols par des extra-terrestres, lors de vies antérieures et d’abus rituels sataniques, et de ce fait aient perdu en partie leur crédibilité, n’est pas non plus une garantie absolue qu’ils ne s’implantent pas en France. Ils n’ont pas d’ailleurs disparu aux États-Unis [12]. Au fond, qui nous dit même que ce trouble de la personnalité multiple ou de désordre de l’identité personnelle n’existe pas en France ? Son manque de visibilité dans notre pays serait-il dû simplement au fait qu’il n’est pas encore vraiment médiatisé, ni théâtralisé comme il l’a été aux États-Unis ? Harrison Pope Jr. dit soupçonner que les deux plus grands facteurs, qui ont aidé l’imagination à donner de la consistance aux «souvenirs refoulés» au 20e siècle, sont la psychanalyse et Hollywood. Il écrit : « Le film est un médium parfait pour propager l’idée des souvenirs refoulés. »

Richard Ofshe, dans son livre Making Monsters, constatait en 1994 que les partisans américains de la mémoire retrouvée élargissaient de plus en plus leurs frontières, pour donner toujours plus de crédibilité à leurs affirmations : « Récemment les thérapeutes audacieux de la mémoire retrouvée ont commencé à donner des conférences et à vendre leurs livres et leur littérature à travers l’Europe. » (p.3) Hacking remarque, lui aussi, que ce sont les partisans américains du mouvement de la personnalité multiple, qui ont commencé à le propager en Europe, aux Pays-Bas : « Le seul pays européen où la personnalité multiple prospère sont les Pays-Bas, et encore cette floraison, disent les sceptiques, est largement entretenue par les nombreuses visites qu’effectuent dans ce pays des membres dirigeants du mouvement américain. »[13].
En 1998, Hacking avait écrit, parlant de la personnalité multiple : « Cette maladie qui semblait inexistante il y a vingt-cinq ans, connaît aujourd’hui un développement sans cesse croissant dans toute l’Amérique du Nord, fait partie intégrante des critères diagnostiques officiels pour désigner ce qui vient d’être rebaptisé « trouble dissociatif de l’identité ». La dissociation en fragments de personnalité aurait pour origine, d’après les théories actuelles, les abus subis lors de l’enfance et longtemps oubliés. »[14] Hacking voit dans le trouble de personnalité multiple une maladie psychique éphémère, qui appartient à une époque, et à une société, et disparaîtra avec elles, comme a disparu l’hystérie de Charcot après sa mort.
McHugh[15] partage ce point de vue. Le phénomène de personnalité multiple disparaîtra, si l’on change de regard et de méthode.
De même, Nicholas Spanos, en 1998 : « Actuellement, le TPM semble être un syndrome culturel. L’explosion du nombre de cas depuis 1970 paraît être restée confinée à l’Amérique du Nord. Le diagnostic de TPM est très rarement fait en France moderne, en dépit de sa prééminence au tournant de ce siècle en tant que centre d’étude du TPM. Le TPM est également rarissime en Grande-Bretagne, en Russie et en Inde et un sondage récent au Japon n’est pas parvenu à en trouver ne fût-ce qu’un seul cas. »[16]
Les choses en resteront-elles toujours là ?

Dr med Karol Chami
Articol reedite

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